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Mal-être des agriculteurs : des initiatives pour se faire épauler

La MSA a mis en place un service d'écoute, vous pouvez contacter Agri'écoute 24h/24 et 7j/7 au 09 69 39 29 19.

Chaque jour, partout en France et depuis des années, des milliers d’acteurs locaux se mobilisent pour secourir les agricultrices et agriculteurs en détresse.

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« J’ai des mauvaises choses qui me sont passées par la tête. » Jean-François Arabeyre est éleveur de brebis à Unac, dans la haute vallée de l’Ariège. En 2024, il a perdu 170 de ses bêtes à cause de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et de la prédation. Cette année, 60 de ses animaux sont morts durant l’estive. « Ça me fout en l’air. Je n’en peux plus, confie-t-il. J’ai des brebis depuis 1982. Je suis devenu éleveur en 1991. C’est dur de ne pas baisser les bras. »

La santé mentale, grande cause nationale

Comme lui, des agriculteurs et des agricultrices se retrouvent tous les jours confrontés à des situations de détresse entraînant un mal-être. Selon le dernier rapport de la Mutualité sociale agricole (MSA) publié en octobre dernier, le « risque suicidaire » des patients du régime agricole âgés de 15 à 64 ans est supérieur de 46 % à celui des patients tous régimes confondus.

Des chiffres qui datent de 2022 et qui sont à prendre avec précautions, prévient Olivier Damaisin, député du Lot-et-Garonne de 2017 à 2022, auteur du premier rapport parlementaire sur le suicide en agriculture en 2020, nommé en 2023 coordinateur national interministériel du plan de prévention du mal-être en agriculture. « Les chiffres ne reflètent jamais la situation actuelle. Ils sont datés. En revanche, il est certain que la santé mentale est un thème extrêmement important. » Elle a été désignée grande cause nationale en 2025 et le sera à nouveau pour l’année 2026.

En plus du plan gouvernemental, une proposition de loi portant des mesures d’urgence pour améliorer la santé mentale de l’ensemble des Français a été déposée à l’Assemblée nationale le 17 avril dernier et devrait être discutée dans l’hémicycle avant la fin de l’année.

Savoir dire stop

En agriculture, « la première cause de mal-être est l’isolement, poursuit Olivier Damaisin. Tout l’enjeu est de détecter la personne en détresse. » Un défi que tentent de relever les acteurs locaux du monde agricole et rural. Parmi eux, les 8 900 sentinelles formées par la Mutualité sociale agricole (MSA) au repérage et à l’orientation des adhérents en situation de mal-être.

« Aider les autres, c’est mon carburant, témoigne Patrice Brachet, ancien éleveur laitier à Azerat, en Dordogne. J’ai voulu me suicider en 2012. Cinq ans plus tard, j’étais sentinelle et aujourd’hui je vais bien. J’aurais aimé être aidé à l’époque parce que l’agriculture est une machine à broyer. Il faut savoir dire stop, même si ça paraît impossible ! » Ce qu’il a fait au début de l’année 2025 en demandant la liquidation judiciaire de son Gaec.

Surnommé « perce-muraille » pour sa capacité à déverrouiller des situations en une journée, Patrice Brachet se consacre aux autres sept jours sur sept. « Qu’ils ne me racontent pas de films, j’ai vu la cassette, ironise-t-il. J’ai au moins quinze appels par jour de personnes en pleurs. Mais en Dordogne, on a réussi à réduire le risque de suicides. »

Un village de sentinelles

À plus de 800 kilomètres, dans les Alpes-Maritimes, c’est tout un village qui s’est formé à la détection des signes de mal-être et de risques suicidaires pour en diminuer le nombre. À la suite d’un drame qui a marqué la commune de Puget-Théniers, ses secrétaires de mairie, infirmiers libéraux, kinésithérapeutes, banquiers et boulangers sont devenus des sentinelles. Une première à une échelle locale.

Destiné au monde rural dans son ensemble, « ce dispositif a permis d’épauler quatre personnes depuis sa mise en œuvre à l’été 2025, précise Sarah Benayoun de la MSA Provence Azur. Notre prochain défi sera de dresser un bilan pour pérenniser cette expérimentation. » Et plus encore, espère-t-elle, l’exporter un jour sur tout le territoire.

Thérapie à la ferme

Sentinelles, Agri’écoute, aide au répit administratif, séjours off, coachs pour les jeunes... Si la MSA continue d’étoffer son programme de prévention du mal-être agricole, « c’est avec l’engagement de tous les services administratifs, étatiques et locaux qu’on réussira à réduire le risque de suicides », assure l’ex-éleveur laitier de Dordogne et sentinelle passionné Patrice Brachet. Je travaille beaucoup avec Solidarité Paysans et Apesa. »

Depuis 1992, Solidarité Paysans lutte contre l’exclusion en milieu rural. « On n’intervient qu’à la demande des personnes, explique Jérôme Martinez Garcia, coordinateur au sein de l’association. On ne veut pas toquer à la porte des paysans pour leur dire “nous on sait”. »  

Une approche différente et complémentaire de celle proposée par Apesa. Créée en 2013, cette association offre un soutien psychologique gratuit aux entrepreneurs en souffrance aiguë, repérés par des sentinelles formées dans les tribunaux de commerce. « Une personne qui souffre n’appelle pas, rétorque Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, cofondateur d’Apesa et ancien formateur de sentinelles de la MSA. C’est à nous d’aller vers eux. »

Entre 2012 et 2019, Apesa a lancé une expérimentation en Charente et Charente-Maritime avec la MSA. Repérer les chefs d’exploitation en situation de détresse lors de procédures judiciaires au tribunal de justice et leur proposer cinq séances gratuites de psychanalyse directement sur leur exploitation.

Rendre les agriculteurs heureux

Pour épauler au mieux les agricultrices et agriculteurs, « il faut déjà éviter le confit d’intérêt, ajoute le psychologue clinicien. La MSA ne peut pas assigner en justice pour des impayés et proposer dans le même temps son aide. La personne ne voudra jamais être aidée par celle qui l’amène devant le juge. Il faut des structures tierces pour ces cas-là. Je suis persuadé qu’on peut aller beaucoup plus loin pour réduire les souffrances du monde agricole. Tous les dispositifs sont en place. »

Et Olivier Damaisin de confirmer : « On a un large panel d’aides possible. Il faut désormais le consolider et l'étayer. Parce que rendre des gens heureux, ça n’a pas de prix. »

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